Avez-vous une mémoire de poisson rouge ?” – feat Linda Cerqueda – LMB #21

C’est un cliché connu : le poisson rouge regarde autour de lui, fait un petit tour de bocal et… oublie qu’il est déjà passé par là, sa mémoire n’allant pas plus loin que quelques secondes en arrière. C’est un grand malheur, parce que le poisson est condamné à revivre tout le temps la même chose, mais c’est aussi un grand bonheur, parce que du coup il s’ennuie jamais. Ou du moins c’est ce qu’on aimerait bien nous faire croire. Mais qu’en est-il vraiment ? Est-ce qu’on peut légitimement vous accuser d’avoir une mémoire de poisson rouge quand vous oubliez ce qu’on vient de vous dire, ou quand vous oubliez ce que vous êtes venu·e faire dans une pièce ?

Si vous faites une rapide recherche sur internet, vous tomberez sur une étude largement reprise par les médias qui montre que des poissons rouges entraînés à appuyer sur un levier pour obtenir de la nourriture peuvent se souvenir de l’heure à laquelle il faut appuyer pendant… plusieurs jours. Une autre étude montre que encore 24h après avoir reçu des décharges électriques dans une zone de leur aquarium, les poissons rouges évitent toujours cette zone. C’est déjà pas mal, mais c’est à peu près tout ce qu’on a en termes d’études sur le poisson rouge, Carassius auratus, parce que c’est pas le poisson préféré des chercheurs pour faire des expériences. Par contre, si on ne se limite plus à cette espèce, on trouve beaucoup plus d’expériences sur la mémoire des poissons. En voilà trois de mes préférées.

D’abord, chez les poissons gobies. Les poissons gobies vivent dans la mer et ils peuvent se retrouver bloqués dans des flaques à marée basse. Des chercheurs ont montré que pour s’échapper, ces poissons sont capables de sauter d’une flaque à l’autre sans même voir la flaque dans laquelle ils vont retomber au moment où ils sautent ! Comment ils font alors pour toujours retomber dans une flaque et pas s’échouer lamentablement sur un banc de sable ? Et bien ils inspectent la topographie des fonds marins à marée haute et ils retiennent l’emplacement des creux dans le sable, information dont ils se resservent ensuite à marée basse. Un gobie qui est transféré dans un territoire qu’il n’a jamais inspecté à marée haute ne se mettra jamais à sauter pour essayer de s’échapper ! Et le mieux dans cette histoire, c’est qu’on a montré que cette mémoire des emplacements des trous de sable dure pendant plus de 40 jours !

Autre poisson, le poisson-clown. Le poisson-clown à deux bandes vit en permanence sous la protection d’une anémone, un animal aux tentacules urticantes qui vit tout le temps accroché au fond de l’eau. Les poissons-clowns sont très attachés à leur anémone et très dépendants d’elle. Et bien un chercheur s’est amusé à capturer des poissons-clowns et à les relâcher six mois plus tard à proximité de leur anémone, mais sans qu’elle soit visible directement. Les poissons-clowns se sont immédiatement mis à nager vers leur anémone chérie, ce qui veut dire qu’ils ont conservé la mémoire de son emplacement pendant au moins six mois !

Ces deux expériences dont je viens de vous parler sont impressionnantes mais elles concernent uniquement la mémoire spatiale à long terme des poissons, ça ne nous dit rien sur la mémoire à court terme des poissons, la mémoire qui pourrait être utilisée en tournant dans un bocal. Mais en 1975, Fricke étudie combien de temps un poisson baliste peut se rappeler d’un morceau de nourriture qu’on cache devant ses yeux. Pendant plus de 3 minutes, le poisson fouille et farfouille à l’endroit où on a caché la nourriture, ce qui veut dire que sa mémoire à court terme dure probablement au moins trois minutes. Pour comparaison, la même expérience a été faite avec des chiens et des chevaux. Les chiens se rappellent de la cache pendant plus d’une heure, par contre les chevaux s’en désinteressent après seulement 6 secondes, bien avant les 3 minutes des poissons donc.

En conclusion, la mémoire de 3s des poissons rouges et des poissons en général est un mythe. Mais attention quand même à ne pas mettre toutes les espèces de poisson dans le même panier (ou plutôt la même nasse ha ha), et attention à distinguer les différents types de mémoire : comme les humains, les poissons peuvent avoir une très bonne mémoire pour se rappeler de certaines choses et pas d’autres (par exemple se rappeler des lieux mais pas des autres poissons qu’ils croisent, etc). Quant à vous expliquer pourquoi vous, vous oubliez parfois ce que vous êtes venu chercher dans le frigo… ça nécessiterait une vidéo entière, et ça sera donc pour une prochaine fois !

Sources :

– étude de Gee : les poissons rouges apprennent à ne pousser un levier qu’à certaines heures https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1334363/
– les poissons rouges vont éviter les endroits d’aquarium où ils ont reçu une décharge : http://www.appliedanimalbehaviour.com/article/S0168-1591(05)00180-2/abstract
– association entre un son et de la nourriture (pas chez le poisson rouge) : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21366576
– étude du poisson clown et de sa mémoire de l’emplacement de son anémone : http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1439-0310.1974.tb02135.x/abstract
– étude de la mémoire à court terme des poissons balistes : http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1439-0310.1975.tb01989.x/abstract
(je n’ai pas lu ces trois dernières publications qui sont en allemand, mais je les ai vues citées dans une revue en laquelle j’ai suffisamment confiance pour vous les présenter. Cette revue est celle-là : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/11957395 )
Musique : Rita’s tune par Pepe Frias

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