Un hybride taupe-grillon dans votre jardin (ft Vorone) (4K) – LMB #18

Si on faisait se reproduire ensemble une sauterelle, une écrevisse, une taupe et un grillon, qu’est-ce qu’on obtiendrait ? Un animal bien chelou et probablement bon pour le cirque, c’est sûr. Mais si je vous disais que cet animal existe déjà et qu’en plus de ça, il est probablement terré dans votre jardin à l’heure qu’il est ? Qu’il se cache sous la terre la journée pour ne sortir que la nuit ? Brrr… Un vrai cauchemar.

Mais ne vous inquiétez pas, la bête ne fait que 4 cm de long et est parfaitement inoffensive, sauf si vous êtes jardinier et que vous avez des légumes. Je dis “que” 4 cm de long mais c’est déjà pas mal étant donné que c’est un insecte, et un insecte qui a de la gueule. En vrai, la bête ressemble plutôt à ça : tête de sauterelle, corsage d’écrevisse, ailes de grillon et pattes de taupe.

La bête a un nom différent dans presque chaque région de France, mais les noms plus utilisés sont la courtilière, la taupe-grillon ou la taupette. Courtilière ça vient de l’ancien français courtil qui veut dire petit jardin, mais le plus intéressant c’est cette association avec la taupe, qui est reprise même dans le nom scientifique Gryllotalpa qui signifie littérallement grillon-taupe. La raison pour cette appellation saute aux yeux : la courtilière a deux énormes pattes à l’avant, qui font penser fortement à celles de la taupe, que ce soit par leur forme ou leur disposition.

En biologie, c’est ce qu’on appelle la convergence évolutive : quand deux espèces très éloignées dans l’arbre du vivant ont quand même des caractéristiques similaires parce qu’elles ont évolué dans un milieu similaire ou qu’elles ont été confrontées aux mêmes problèmes pour survivre. Ici, la taupe et la courtilière ont été confrontées au même problème de trouver le moyen le plus efficace possible pour creuser. Dans les deux espèces, la sélection naturelle a abouti à la même solution : une énorme paire de pattes puissantes à l’avant, avec des griffes imitation tractopelle.

D’ailleurs, les ressemblances avec la taupe ne s’arrêtent pas là : la courtilière creuse aussi ses terriers avec une chambre centrale et des galeries tout autour, un peu comme la taupe, et elle laisse des traînées de terre en surface qu’on dirait des reproductions miniatures de celles des taupes. Et puis la courtilière mange à peu près la même chose que la taupe : beaucoup de vers, des larves, et quelques racines qu’elle trouve sur son passage. Comme la taupe, elle n’a donc pas très bonne réputation chez les jardiniers !

Mais attention, ne traitez jamais la courtilière de mini-taupe en face, elle pourrait le prendre très mal. Je sais, j’ai essayé. Parce que contrairement à la taupe, la courtilière a de nombreux autres talents que celui de savoir faire des trous.

D’abord, elle peut voler. Avant 1933, on pensait que la courtilière ne pouvait voler que sur des petites distances, jusqu’à ce qu’on observe un vol sur un kilomètre dans le nord de la Dordogne. Le vol a généralement lieu la nuit, et en groupe, mais on sait pas trop s’il sert juste à se déplacer, à essaimer, ou à entamer une parade amoureuse.

Ensuite, la courtilière est excellente nageuse, contrairement à beaucoup d’insectes. Non seulement elle flotte comme un bouchon de liège à cause de sa grosse taille et de son revêtement qui fait glisser l’eau, mais elle se déplace avec une certaine agilité à la surface de l’eau… tout en pouvant plonger et rester immergée pendant plusieurs minutes en cas de danger !

Enfin, la courtilière peut chanter. Comme chez les grillons, le mâle donne de la voix pour attirer les femelles. Vous pouvez entendre son chant les chaudes soirées de mai et de juin dans le sud, quand ya pas de foot à la télé. Comme chez le grillon, le chant est obtenu par frottement des élytres, des espèces de petites ailes durcies qui protègent les ailes qui servent à voler. Voilà à quoi ressemble ce chant. [extrait audio] Et à l’autre bout du fil, pour écouter cette musique, des espèces de tympans sont implantés juste derrière le thorax. Un endroit un peu inhabituel, peut-être pour protéger les tympans des projections de terre quand la courtilière creuse, mais pas un endroit plus bizarre que celui des grillons qui ont leurs tympans sur… les pattes avant.

“Essayez donc de trouver une taupe qui sait nager, voler et chanter”, vous dira la courtilière si vous la traitez de taupe, en se dressant sur ses pattes arrières et en vous montrant ses poings, comme elle le fait parfois face à un agresseur, inspirée par le poster de Marcel Cerdan qu’elle a dans sa chambre. Et gaffe à la morsure de mandibules si vous insistez.

Pour finir, sachez que la courtilière est fortement menacée d’extinction dans toute la moitié nord de la France, et menacée dans une moindre mesure dans le sud-ouest de la France et autour de la Méditerranée. Et elle a pratiquement disparu au Royaume-Uni, alors qu’on l’y rencontrait presque partout au début du XXe.

FIN !

C’est une vidéo en collaboration avec l’artiste Vorone, c’est d’ailleurs lui qui a choisi le sujet ! Allez voir ses magnifiques dessins sur son site :

https://behance.net/voronegray5172
https://twitter.com/vovotg
https://www.facebook.com/voroneronov

Sources :

Deux superbes pages écrites par des passionnés, avec des citations de livres du XIXe siècle comme on les aime :
Espèces menacées en France :
En anglais :
Le chant de la courtilière vient de là : http://bio.acousti.ca/classification/gryllotalpa-gryllotalpa

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