Le foot, ce jeu de hasard – LMB #11

Et si vous préférez le texte :

Imaginons un match de foot entre la France et le pays de Galles. Imaginons qu’en moyenne, la France marque deux fois plus souvent que le pays de Galles. Ça veut dire que si un seul but est marqué dans tout le match, il y a 2 chances sur 3 pour que ce soit la France qui l’ait marqué et 1 chance sur 3 pour que ce soit le pays de Galles qui l’ait marqué. Autrement dit, le pays de Galles, qui est une équipe deux fois plus faible si on se réfère au nombre de buts marqués, a quand même 33% de chances de gagner sur le score de 1-0 ! Imaginons maintenant que trois buts soient marqués au total dans le match et que l’on sache que c’est le pays de Galles qui a gagné. Si trois buts ont été marqués, cela veut dire que le Pays de Galles a gagné 3-0 ou 2-1. S’il a gagné 3-0 c’est que le premier but a été gallois, le 2e aussi, et le 3e aussi. À chaque but, il y avait une probabilité de 1/3 pour que le but soit gallois, donc la probabilité du score 3-0 est de 1/3 x 1/3 x 1/3 = 1/27. On peut montrer de la même façon que la probabilité de gagner sur le score de 2-1 pour le pays de Galles est de 6/27. Au final, la probabilité pour le pays de Galles de gagner contre la France si trois buts sont marqués, que le score soit de 2-1 ou de 3-0, est de 1/27 + 6/27 = 7/27, soit 26%. 26% de chances de gagner, c’est moins que les 33% de chances de gagner si un seul but est marqué dans tout le match. C’est à dire que la probabilité de gagner pour l’équipe la plus faible a diminué rien que parce que le nombre de buts a augmenté. Et on pourrait recommencer le même raisonnement pour montrer que plus le nombre de buts marqués par match est grand, plus la probabilité de gagner pour les équipes faibles diminue. Par exemple, si 9 buts devaient être marqués dans un match, le pays de Galles n’aurait plus que 15% de chances d’avoir gagné.

Ce que ces calculs montrent, c’est que moins il y a de buts marqués dans un sport, plus les équipes faibles ont leur chance de gagner. C’est complètement intuitif : si un but contre son camp est marqué au foot, alors qu’il n’y a que trois buts de marqués par match en moyenne, alors ce but aura beaucoup plus d’importance dans le résultat final que si un but contre son camp est marqué au handball où il y a des dizaines de buts par match. Parce qu’il y a très peu de buts au foot, c’est un sport qui est fortement soumis au hasard et à la chance.

Et si les matchs de foot sont hasardeux, cela veut dire que les compétitions le sont aussi ! Dans son livre “La science du football”, Wesson simule un championnat où toutes les équipes ont exactement le même niveau, c’est à dire la même probabilité de gagner un match. Malgré cela, un écart de points considérable existe entre l’équipe qui arrive première et l’équipe qui arrive dernière : 67 points pour la première, 31 pour la dernière ! Tout ça uniquement dû au hasard. Pire que ça, Wesson refait la simulation mais en introduisant une équipe plus forte que toutes les autres. Cette équipe ne finit même pas première mais en deuxième position à cause de ces effets aléatoires. On est même capables de calculer la probabilité qu’une équipe ayant gagné le championnat soit réellement la meilleure à partir des écarts de points avec ses concurrentes. En 1993 par exemple, Manchester United gagne le championnat anglais avec 10 points d’avance sur le 2e, Aston Villa. En foot, 10 points d’avance on considère ça comme un gros écart, et on dira que Manchester a bien mérité son titre. Pourtant, la probabilité qu’elle fut la meilleure équipe cette année-là était de seulement 68%. On comprend un peu mieux pourquoi ce nombre quand on sait que l’issue de 28 des 42 matchs qu’elle a joués cette saison aurait pu être changée par un seul but… Pour être sûr qu’une équipe est vraiment au-dessus du lot, il faut regarder ses résultats sur plusieurs saisons, et cette fois-ci, avec 7 championnats gagnés dans les 9 années qui ont suivi, la probabilité que Manchester United était la meilleure équipe sur cette période passe à 99,99%.

Le foot est donc un sport où le hasard joue un rôle important parce que très peu de buts y sont marqués. Ça serait facile d’y remédier, il suffirait d’agrandir les buts. C’est possible en théorie, on a déjà changé les règles du foot par le passé, par exemple dans les années 90 on a interdit aux gardiens de récupérer à la main une passe d’un de leurs coéquipiers parce qu’on trouvait le jeu trop défensif. Mais certains diront que le hasard dans le foot est un point positif, et que c’est précisément l’incertitude qui règne dans ce sport qui fait qu’il est agréable à regarder, et que des petites équipes peuvent battre des grosses. C’est sûrement vrai, et quand on voit la popularité actuelle du foot, on comprend que beaucoup ne voudront pas toucher à ses règles. En attendant, on continuera à voir des équipes méritantes se faire battre par d’autres qui ne l’ont pas mérité, et des compétitions où on ne sera jamais sûrs que l’équipe qui a gagné était vraiment la meilleure.

SOURCES :

Le livre de Wesson sur la science du foot : https://www.amazon.fr/science-du-football-John-Wesson/dp/2701136008

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